Les Journées Européennes du Patrimoine 2015

Ce texte traduit bien, à mon avis, le quotidien des tranchées et les états d’âme des Poilus.

La chanson de Craonne-1917

Il montre bien le découragement des soldats. Cette chanson, sur l’air de " Bonsoir m’amour ", de Jean Sablon a circulé après l’offensive du Général Nivelle qui a envoyé les fantassins se faire tuer au " Chemin des dames ". 147 000 soldats ont péri et 100 000 ont été blessés.
La hiérarchie militaire avait offert un million de francs or et la démobilisation à toute personne qui dénoncerait les auteurs de cette chanson, dont je vous ai donné un extrait. Cette hécatombe a provoqué des refus de monter au front et de nombreuses mutineries.
Le général Pétain nommé en catastrophe un mois après l’offensive, en remplacement du général Nivelle disgracié, a sévèrement réprimé les mutins. Sa mission était d’enrayer l’effondrement du moral des soldats. Pourquoi je vous raconte tout cela, à votre avis? Tout simplement car nous voulions bien mourir pour la Patrie, mais par courir vers une sorte de suicide.
Est-ce que tous les gradés avaient bien conscience de notre vie de soldats dans les tranchées, je vous le demande?

Albert:

Je t’approuve entièrement, Robert. Les chefs ont été si nombreux qu’il ne met pas possible de les énumérer tous. Les plus importants furent Joffre, Nivelle, surnommé "Le Boucher", Foch, Pétain, Gallieni, pour ne citer que les principaux français. Nous, les pauvres soldats aux prises avec les "boches" tous les jours, nous ne savions jamais qui donnaient les ordres. Croyez-vous que ces chefs étaient réellement au courant de tout ce que nous subissions ?

Gaston:

Bien sûr que non. Tout au long de cette guerre, cela n’était qu’ordre et contre-ordre. Nous ne savions plus où nous en étions. Des tas d’opérations menées, une guerre de mouvement très courte, une guerre de tranchées, puis à nouveau une guerre de mouvement. Le premier plan XVII de Foch, Joffre et son opération des "Taxis de la Marne ".
Je ne vais pas vous raconter ces 51 mois d’enfer, du 1er août au 11 novembre 1918 ! Nous étions totalement déroutés. Heureusement, de temps en temps, nous avions une courte permission, pour nous changer les idées. Qui d’entre vous, pourrait me parle de la sienne?

Robert:

Moi, parbleu. Par 2 fois, j’ai pu rejoindre la Capitale avec quelques copains de tranchées. Nous sommes allés dans certains bistrots, pour boire et surtout pour trouver des jeunes femmes disposées à danser avec nous. Parfois, je ne vous dis pas la " biture" qui fut la nôtre. Nous sommes aussi allés nous promener dans le bois de Vincennes.
C’était alors une véritable bouffée d’oxygène avant de retourner au combat. Il y avait aussi le théâtre aux armées. Mais cela n’était toujours du Sarah Bernard ou du Maurice Chevalier. Les stars parisiennes ne montaient au front que si les photographes étaient présents.
Les auteurs et les acteurs étaient recrutés sur place, le fusil "Lebel" à portée de la main. Au fait, Jules : "Avez-vous des nouvelles de Madame Marie, l’infirmière ?" Nous avons appris que plusieurs camarades avaient été blessés. Ont-ils pu être soignés ?

Jules:

Effectivement, elle m’a appris tout ce qu’elle avait les temps derniers, à l’hôpital.

 

Marie:

Effectivement, ce dernier mois a été harassant. Vous ne pouvez pas savoir tous les cas que nous avons eu à traiter. Les aéroplanes allemands, reconnaissables aux croix noires sous leurs ailes, ont mitraillé en rase-mottes les soldats dans les tranchées Des blessés criaient : "Brancardiers!...Brancardiers!"
D’autres pleuraient ou gémissaient. Certains, par contre, restaient muets. La mort leur est venue du ciel. Ils n’ont plus de soucis à présents. Par contre, je vous signale que le Maire de leur Commune aura le douloureux devoir d’apporter la lettre à leur épouse ou à leur famille ce triste message. On décorera leurs cadavres de la croix de Guerre et leurs noms seront inscrits sur le monument aux morts de la Ville. Après cet aparté, je reprends mon sinistre compte-rendu.
Les brancardiers arrivent enfin tranquillement, la pipe au bec. Ils ramassent les uns et les autres en se bouchant les oreilles aux injures entendus. Ces derniers sont traités de salauds, de feignants. Ce sont des réservistes, âgés de 40 ans ou plus, les tempes déjà grises. Ce sont surtout des paysans habitués à saigner leurs cochons où leurs veaux. Ramasser des héros zigouillés ne leur fait ni chaud ni froid. Les blessés plus chanceux sont dirigés vers le "13".
C’est l’hôpital de la "Croix Rouge ", celui où je travaille avec mon amie Jeanne. Les autres vont vers des hôpitaux militaires. C’est vrai, nous les infirmières de la " Croix Rouge ", nous nous comportons avec ses pauvres hommes, comme de véritables mères.
Le matin, nous leur apportons de grands bols de café au lait et des tartines bien beurrées. Quel bonheur pour eux, de pouvoir manger enfin assis à une vraie table et non dans une vulgaire gamelle placé entre 2 genoux. Souhaitez-vous que je continue à vous raconter ce que nous faisons encore, au risque de vous effrayer?
Mon amie Jeanne me remplace aujourd’hui.

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