Une malle voyageuse et énigmatique

Nous connaissons tous Charles Aznavour.

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Récemment dans de nombreux journaux, nous avons tous appris la vente de nombreux objets ayant appartenu à ce célèbre chanteur. En effet, le 4 décembre 2020, lors d’une vente aux enchères, cette modeste malle fut adjugée 2 210€. Mais grâce à elle nous avons découvert une partie de la vie des parents de Charles Aznavour.

La malle de Charles Aznavour
Une malle qui a beaucoup voyagé .

Dans le grenier du château où habite la sœur de Charles Aznavour, le commissaire-priseur Piasa Thibaud Cardera a déniché une vieille cantine de voyage entre deux bronzes poussiéreux et des piles de vêtements usés. Ce grand coffre en sapin est recouvert de carton bouilli brun. Les planches revêtues et armées de serrures en laiton n’étaient pas à priori une pièce de collection. Mais les coordonnées dessinées au pinceau blanc ont intrigué l’expert: "Aznaourian 22, rue de Navarin, 9 Paris 9e, France". "C’est le nom de famille original de Charles Aznavour avant qu’il ne francise son nom", déclare Thibaud Cardera.

L’adresse dans une petite rue près de Pigalle est celle de la maison familiale où Mamigon et Knar Aznavourian, un couple d’immigrants d’origine arménienne, ont vécu avec leurs enfants Aïda, l’aînée et Charles.

Les parents de Charles Aznavour
Les parents de Charles Aznavour.

Mamigon (surnommé Micha) Aznavourian, Arménien né le 26 mai 1897 à Akhaltsikhé en Géorgie est le fils d’un des cuisiniers du gouverneur d'Arménie (Géorgie et Arménie étant déjà provinces de l'Empire russe). Knar Baghdassarian, est issue d’une famille de commerçants arméniens de Turquie (Adapazari) (l'Empire ottoman, à l'époque). Ils se rencontrent à Constantinople. Knar écrit des articles dans la rubrique "spectacle" d'un journal arménien. Il a 24 ans et elle est âgée de 19 ans.

Deux enfants naissent de cette union : une fille, Aïda, née en janvier 1923 à Salonique, où ses parents se sont réfugiés un temps alors qu'ils fuyaient le génocide arménien de 1915. Elle deviendra l'épouse du compositeur Georges (Diran) Garvarentz, principal collaborateur de son frère Charles, qui naît un an plus tard en 1924, alors que ses parents apatrides viennent de débarquer en France et séjournent à Paris dans l’attente d’un visa pour les États-Unis. La famille reste finalement dans l'Hexagone.

Ne parvenant pas à écrire correctement le prénom Shahnourh ou Chahnour qui n'est pas reconnu par la loi française sur l'état civil de l'époque, la sage-femme de la clinique de la rive gauche tenue par une congrégation religieuse déclare à l'état civil le bébé sous le prénom de Charles.

Micha Aznavourian, ancien baryton, travaille alors dans le petit restaurant arménien de son père, Le Caucase dans le 5e arrondissement de Paris, 3 rue Champollion. Quelques années plus tard, Micha ouvre son propre restaurant, rue de la Huchette et aussi nommé Le Caucase, où il chante pour les exilés d'Europe centrale et d'Europe de l'Est. Avec sa femme comédienne, ils élèvent leurs deux enfants, Charles et sa sœur aînée Aïda.

L'établissement faisant faillite, Micha ouvre ensuite un café rue du Cardinal-Lemoine, juste en face de l'École des enfants du spectacle (le collège Rognoni), une école réputée pour ses classes à horaires aménagés. Le petit Charles y est inscrit, ayant manifesté la volonté d'être acteur.

Durant la Seconde Guerre mondiale, les Aznavour, parents et enfants, ont caché des juifs et des Arméniens dans leur appartement parisien, dont le poète et résistant communiste Missak Manouchian et son épouse, Mélinée. Cela lui vaudra,  en 2017 une décoration israélienne, la médaille Raoul Wallenberg.

Cette boîte vide, typique des années1920 ou 1930, a l’intérieur couvert d’un papier bleu et blanc strié et surmonté d’un plateau amovible à 2 compartiments. Il a donc fallu mener l’enquête afin d’en deviner les secrets.

Aurait-elle pu transporter les affaires des parents lors de leur exode vers la France en 1923 ? Cette 1ère piste nous plonge dans l’odyssée tragique des Aznavourians.

Presque toute la branche maternelle a disparu pendant le génocide arménien qui a commencé en 1915 et a tué plus de 1,2 million de personnes. Knar, alors adolescente et la grand’mère Yaya,  exilées à Istanbul sont les seules survivantes de leur famille. La jeune femme rencontre son futur mari Mamigon.

Tout juste marié, le couple, accompagné de Yaya, s’installe à Salonique (aujourd’hui Thessalonique) en Grèce, où Aida est née en janvier 1923. Les quatre réfugiés montent alors dans un paquebot pour Marseille avec la malle ?

"Possible, répond l’expert Piasa sans aller trop loin. Selon la légende de la famille, les Aznavourians rêvaient de l’Amérique à l’époque, mais un problème de visa les a retenus en France. Je pense plutôt qu’ils voulaient aller à Paris, où le père de Mamigon tenait un restaurant dans le Quartier Latin, rue Champollion."

Cependant, cette hypothèse ne semble pas la plus probable, car un examen plus approfondi de l’objet nous mènera à un autre voyage.

Il y a trois autocollants sous la poignée gauche. Le plus grand aux couleurs du drapeau français représente la Statue de la Liberté sous un formulaire écrit en anglais. Le nom Aznaourian semble y être inscrit. Cabine numéro 44. Au sommet, les mots "Liberté" en majuscules et "French Line" sont faciles à deviner.

L'étiquette sur la valise de Charles Aznavour
Quelques renseignements sur ce blason.

C’est sans doute l’étiquette du paquebot affrété entre New York et Le Havre par la Compagnie Générale Transatlantique dans les années 1950.

Jaunies au fil du temps sont les deux autres étiquettes. L’une indique que la malle est expédiée depuis le port du Havre.

La vignette Expédition Express Domicile sur la malle de Charles Aznavour
La vignette Expédition Express Domicile sur la malle

L’autre désigne un passage par la gare Saint-Lazare à Paris du colis vers le domicile 22, rue de Navarin.

L'itinéraire de la valise de Charles Aznavour
L'itinéraire de la valise de Charles Aznavour.

Pâle et invisible à l’œil nu, une date est marquée d’un marqueur rouge: 6 Décembre 1950. Enfin une piste solide !

L’archiviste de l’entreprise, Florent Crayssac, confirme: La "Liberté", quitte New York le 29 novembre 1950 et accoste au Havre le 5 décembre, après une escale à Plymouth, en Angleterre.

Le bateau "Liberté" pour Charles Aznavour
Arrivée du bâteau "Liberté".

A bord, 730 passagers, dont des ministres, des diplomates, des banquiers et des artistes célèbres comme le cinéaste hollywoodien Billy Wilder. Charles Aznavour ne figure pas sur la liste des personnalités Pas étonnant, le chanteur de l’époque n’était qu’un voyageur parmi tant d’autres et dormait dans une cabine milieu de gamme.

Heureusement, le biographe Robert Belleret apporte une information décisive: «La date sur l’étiquette correspond exactement au moment où Charles Aznavour revient en bateau de New York. Tout correspond !

Pendant cette période, cependant, Aznavour prend deux décisions importantes à la mi-novembre en réussissant à distance l’examen de compositeur de la Sacem. Cela lui permet d’obtenir les droits sur les 430 chansons pour lesquelles il signera la musique.

Dans la foulée et sur les conseils de la chanteuse Piaf, qui finance l’opération, il passe sur billard: "J’avais un nez crochu arménien qui me plaisait: c’était le mien! Cela m’a dérangé pendant longtemps pour que je puisse le réduire avec la chirurgie esthétique", avouera Charles Aznavour dans la préface d’une biographie consacrée à la "Môme".

Charles Aznavour est arrivé le 5 décembre au Havre. Puis il se rend à Paris et rejoint l’appartement familial.

L'appartement des parents de Charles Aznavour.
L'appartement des parents de Charles Aznavour.

(Le coffre sera livré le lendemain.) Soixante-dix ans plus tard, la décoration de la propriété a changé, mais le plan d’étage reste quasiment identique. Le lourd portail sans code bloque l’entrée de ce bâtiment haussmannien. Une fois passé devant la loge du concierge, il faut traverser une cour arborée et grimper les 2 étages d’un escalier en colimaçon pour arriver à l’ancien logement des Aznavourians.

À droite du hall d’entrée, il y a un petit coin cuisine. Au milieu se trouve la chambre principale où dormaient Mamigon et Knar. A gauche, un double salon partagé en 1 séjour et 1 chambre où se reposait Aïda.  À l’extrême droite, se trouve la petite pièce où a vécu Charles Aznavour à la fin de sa jeunesse et sous l’occupation. Sans jamais se débarrasser de sa vieille malle, il en emportera bien d’autres, très luxueuses, dans ses tournées mondiales. L’une d’elles, siglée Vuitton et frappée de ses initiales CA, est mise en vente sur eBay par le neveu de l’un ses impresarios à 24 000 €.

Mais ce type de malle n'est pas unique.Regardez cette valise posée au pied d'un lit.

Malle des parents de Sonia Nigoghossian.
Malle des parents de Gérard Nigoghossian.

Elle appartient à une famille très connue à Arnouville.

 

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